La sélection des résistances aux produits phytosanitaires

Les populations de bio-agresseurs sont constituées d’individus différents, qui ont généralement des sensibilités différentes à un PPP donné. Cette variation de sensibilité entre individus est naturelle : elle existe au sein des populations avant que celles-ci ne soient exposées aux PPP (figure 4a).

figure 4a : La sensibilité à un PPP est un caractère naturellement variable dans les populations de bio-agresseurs. Dans les populations naturelles, on trouvera des individus plus sensibles que la moyenne (hypersensibles) à un PPP donné, mais également des individus qui présentent naturellement une moindre sensibilité à ce PPP. Les individus les moins sensibles peuvent survivre à une application correcte de la pleine dose du PPP. Ces individus moins sensibles sont présents naturellement dans les parcelles, en général à de très faibles fréquences. Lors d’un traitement avec un PPP d’une population de bio-agresseur, tous les individus sensibles à la dose de PPP appliquée seront éliminés. Les individus les moins sensibles de la population pourront parfois survivre. Ces individus, s’ils peuvent produire une descendance viable et elle aussi capable de survivre au PPP, sont alors qualifiés de résistants (voir figure 1).

Pour aller plus loin : la résistance aux antibiotiques
L’évolution de résistances aux PPP chez les bioagresseurs des plantes est très similaire à l’évolution par les bactéries de résistances aux antibiotiques. Les deux phénomènes reposent sur le même principe d’évolution en réponse à une pression de sélection. Une vidéo d’illustration de ce phénomène en temps réel vous est présentée ici (en anglais) : The Evolution of Bacteria on a “Mega-Plate” Petri Dish

L’élimination par l’application du PPP des individus sensibles de la population de bio-agresseur favorise le développement des individus résistants. En effet, en l’absence de traitement, tous les individus sont en compétition pour une ressource commune (que ce soit la plante hôte pour les champignons phytopathogènes et les insectes ou l’accès aux nutriments, à l’eau et à la lumière pour les adventices). L’élimination des individus sensibles va donc diminuer la compétition pour l’accès à la ressource des individus résistants, et favoriser leur reproduction (figure 4b). La conséquence directe de cette pression de sélection est l’augmentation de la fréquence des individus résistants dans la population de bio-agresseurs au fur et à mesure des applications de PPP. L’existence de reproduction asexuée chez certaines espèces de bio-agresseurs peut accélérer la diffusion des individus résistants.

figure 4b : La sélection d’individus résistants est un processus progressif. Les traitements répétés d’une population de bio-agresseurs vont éliminer les individus sensibles et « favoriser » (sélectionner) les individus résistants. Ceux-ci vont se multiplier et transmettre le caractère de résistance à leur descendance. On passe ainsi peu à peu d’une population dans laquelle la fréquence de la résistance est rare à une population dans laquelle la proportion d’individus résistants est suffisante pour que les traitements ne soient plus considérés comme efficaces. Les premières étapes de la sélection d’individus résistants sont généralement imperceptibles. On s’aperçoit généralement de la présence de la résistance lorsque la fréquence des individus résistants est suffisante pour qu’une perte d’efficacité soit observée au champ.

La pression de sélection exercée par le traitement aboutira généralement à la sélection d’individus résistants dans la population du ou des bio-agresseur(s) visé(s), et par conséquence à une perte d’efficacité régulière du PPP. L’évolution de la résistance est inéluctable, mais peut être plus ou moins rapide. La vitesse de l’évolution de la résistance dépend de l’intensité de la sélection exercée, c’est à dire principalement de trois facteurs :

  • la fréquence d’utilisation du PPP contre un bioagresseur donné. Il faut ici comprendre le terme « fréquence » au sens large. Il s’agit aussi bien du nombre d’applications annuelles du PPP que du nombre d’années pendant lesquelles celui-ci a pu être utilisé contre ce bio-agresseur. Plus un PPP est utilisé souvent contre un bio-agresseur donné, plus la vitesse d’évolution de la résistance est élevée.
  • le nombre d’individus exposés au PPP. La fréquence initiale des individus résistants à un PPP dans une population naturelle de bio-agresseurs est généralement très faible. Plus on traite une population nombreuse de bio-agresseurs, plus la probabilité est forte que cette population contienne au moins un individu résistant. Celui-ci pourra alors être sélectionné. La taille de la population traitée dépend de la surface traitée, mais également du niveau d’infestation des parcelles. Autrement dit, la résistance évoluera plus vite dans des parcelles fortement infestées.
  • l’efficacité de l’application du PPP. Une bonne ou très bonne efficacité ne sélectionnera que les individus les plus résistants, qui sont généralement très rares (Figure 4a). Une efficacité médiocre sélectionnera non seulement les individus les plus résistants, mais aussi des individus supplémentaires « moins sensibles ». La fréquence des individus survivants augmentera donc plus vite.

Pour résumer, la sélection de la résistance est favorisée par une utilisation fréquemment répétée d’un PPP, une forte infestation des parcelles et une mauvaise efficacité de l’application.